Homélie du Père Stéphane Aulard pour la Toussaint

HOMELIE DE LA TOUSSAINT 2020 – NOTRE-DAME DE VINCENNES

Il y a longtemps en France que nous savons combien être chrétien et catholique peut être dangereux : nous n’avons pas oublié les sept moines trappistes de Tibhirine en Algérie enlevés et décapités en 1996. Ils étaient français d’origine. On ne peut pas les soupçonner de ne pas avoir entretenu un dialogue et une charité sans faille auprès des habitants de leur village où ils étaient estimés de tous. Mais pourquoi donc ? Parce qu’ils étaient imprégnés de l’Evangile des Béatitudes (Matthieu 5,1-12a), celui que nous lisons depuis des siècles le jour de la Toussaint dans les églises du monde entier. Combien de fois mon frère prêtre , le Père Jacques HAMEL, assassiné lui aussi par deux djihadistes le 26 juillet 2016 à Saint Etienne du Rouvray dans le diocèse de Rouen avait-il commenté à la Toussaint cette page emblématique de l’Evangile ? A-t-il buté comme moi aujourd’hui sur la dernière des béatitudes, la huitième :

« Heureux êtes-vous si l’on vous insulte, si l’on vous persécute et si l’on dit faussement toute sorte de mal contre vous, à cause de moi. Réjouissez-vous, soyez dans l’allégresse, car votre récompense est grande dans les cieux ! C’est ainsi qu’on a persécuté les prophètes qui vous ont précédés. » (Mt 5,11-12a)

Oui, frères et sœurs c’est vrai qu’à choisir entre les huit béatitudes je préfère la première ou la sixième évidemment :
« Heureux les pauvres de cœur, car le royaume des Cieux est à eux. » (Mt 5,1)
«  Heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu. » (Mt 5,8)

Non pas parce que c’est plus léger ou plus esthétique tant il est vrai que certains ne s’intéressent au trésor de la foi chrétienne que de manière patrimoniale ou parce que l’Evangile leur paraît  -quand même- un grand texte de la littérature universelle.

Mais, pour nous ce matin ici avec tout ce qui nous arrive en France et au sein de l’Eglise catholique les béatitudes qu’est-ce que c’est ?

C’est le discours inaugural de Jésus : le fameux sermon sur la montagne déclamé par le nouveau Moïse qui inscrit son enseignement dans la droite ligne des prophètes, des sages, des rois d’Israël qui sont notre terreau. C’est la charte du Royaume des cieux qui commence dès maintenant ici : le Royaume des cieux s’est approché en Jésus. Le ciel est venu sur la terre en Lui notre Seigneur, notre frère aîné, notre maître qui s’est fait serviteur. L’amour parfait tant il est vrai, comme le dit d’une manière indépassable le grand Saint Jean, que « Dieu est amour » (cf. 1 Jn 4,8) et l’amour s’est approché de nous. Mais l’amour n’est pas aimé, l’amour est blessé, l’amour est en procès depuis le début des jours de Jésus à Noël, dans sa Passion et sa mort sur la croix. Mais, Il est ressuscité non pas comme s’il s’agissait d’un tour de passe-passe parce que nous aurions peur de la mort et voudrions nous rassurer mais bien comme la protestation de son Père qui l’a relevé d’entre les morts et L’a établi au plus haut des cieux pour que nous nous accrochions à Lui de toutes nos forces et que cela soulève nos vies pour les enthousiasmer (enthousiasme signifie « être rempli de Dieu »).

Alors oui, ce matin et demain encore nous serons les enthousiastes de Dieu : nos cœurs seront pauvres parce qu’ils ne doivent pas être égoïstes, imbus d’eux-mêmes, mais disponibles à nos frères et sœurs. Notre évangile, la Bonne Nouvelle que nous annonçons c’est  cela : la pauvreté de cœur, les pleurs quand il le faut parce que nous ne sommes indifférents ni à nos anciens, ni à la vie naissante, ni aux démunis, ni à nos familles, ni aux étrangers attirés par la France patrie des droits de l’homme et aux racines chrétiennes si anciennes. Nous continuerons à être doux et humbles de cœur comme notre maître, le rabbi Jésus. Nous avons faim et soif de justice, de justesse, d’accomplir la volonté de Dieu car la terre est celle de Dieu et le ciel nous est promis comme l’accomplissement de toute histoire humaine et de notre monde quand viendra la récapitulation dans le Christ. Nous sommes et serons des artisans de paix et non des fauteurs de troubles ou de corruption. Notre joie est dès maintenant comme hier et demain celle que nous venons puiser en écoutant l’Evangile et en nous en imprégnant résolument parce que c’est notre seul trésor : nous le partageons avec nos enfants qui le découvrent, avec les adultes qui demandent à être baptisés, avec les anciens qui en connaissent des pages par cœur.

N’oubliez pas ce que je vous ai déjà dit plus d’une fois : en sortant de cette église en cours de restauration comme le monument le plus ancien de Vincennes (après le château bien sûr ou trône la Sainte Chapelle avec ses magnifiques vitraux rappelant l’Apocalypse) : sont inscrits en latin dans la pierre trois mots essentiels pour notre foi :

CREDITE,  SPERATE, AMATE !

Ce sont ce qu’on appelle les trois vertus théologales, littéralement « qui parlent de Dieu » et que Saint Paul a magnifiquement commentées dans la première lettre aux Corinthiens (cf. 1  Co 12-13) :

CROYEZ, ESPÉREZ, AIMEZ !

Ces mots sont écrits au pluriel :

Nous chrétiens nous sommes appelés à croire en Dieu de tout notre cœur, de toute notre force, de tout notre esprit et en notre prochain comme créature aimée du Dieu amour même s’il ne le sait pas ou ne veut plus le savoir ou le travestit.

Nous chrétiens sommes appelés à espérer contre toute espérance et à rendre compte de cette espérance qui nous habite profondément pour le temps qui est le nôtre et pour notre avenir qui est en Dieu.

Nous chrétiens -et nous savons que cela inspire tout le reste- sommes appelés contre vents et marées à aimer à la manière de Jésus qui s’est livré tout entier à l’humanité pour qu’elle retrouve dans son sacrifice rédempteur sa bonté originelle perdue en se séparant de Dieu.

Alors continuons humblement, fortement à vivre de cet amour qui nous est donné dans chaque eucharistie et que les saints et saintes depuis des siècles ont su incarner magnifiquement.
N’oublions pas Vincent LOQUÈS, Simone BARRETO-SILVA et Nadine DEVILLERS sauvagement égorgés jeudi à Nice : nous leur ressemblons parce que nous sommes comme eux des gens ordinaires qui élevons nos enfants et nos petits-enfants, nous engageons au service des autres et prions.
C’est Dieu qui croit en nous, qui espère en nous et qui nous aime. Ne l’oublions pas.

Amen.

Père Stéphane AULARD